Destyneo

15 ans plus tard…

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Dimanche 2 juin 2024, je me suis rendue dans une salle des fêtes, à une heure de mon domicile, pour célébrer les 60 ans de la Nichée, le foyer qui m’a accueilli de mes 10 à 18/19 ans. C’était un moment très fort en émotions où j’ai pu revoir d’anciens enfants placés et aussi les professionnels de l’éducation et de l’enfance qui se sont, d’une manière ou d’une autre, occupé.es de moi pendant ces 8 années.

A l’occasion de cet événement, j’y ai prononcé un discours (merci à ma sœur de m’avoir accompagné sur la scène) pour, tout d’abord remercier l’ensemble des personnes qui m’ont accompagné.es, guidé.es, soutenu.es, mais aussi pour redonner de l’espoir aux enfants et montrer qu’il n’y a pas inscrit « foyer » sur notre front. Tout n’est pas perdu, on peut tout à fait avoir une vie normale, comme tout le monde, en sortant d’une maison d’enfants.

Ecrire ce discours n’a pas été facile émotionnellement et encore moins au moment de le réciter devant tout le monde. Mais je pense que cela a été essentiel pour moi afin de témoigner ma reconnaissance. Et je pense aussi que cela peut être bénéfique pour les enfants qui sont placés et éventuellement les adultes qui ont été placés plus jeunes. C’est pourquoi, je le partage ici publiquement.

(J’ai rajouté quelques éléments complémentaires par rapport à ce que j’avais témoigné à l’oral il y a 6 mois)

Bonjour à toutes et à tous,

Je suis ravie d’être là parmi vous aujourd’hui, 15 ans après mon départ du foyer pour ma vie d’étudiante à Strasbourg. Et oui, je suis arrivée à la Nichée , il y a déjà 1/4 de siècle, à l’âge de 11 ans en 2001. Je me souviens très bien, c’était un jour avant la rentrée scolaire, j’entrais alors en 6ème, au collège de Volgelsheim.

Très vite, j’ai pris mes marques avec les autres enfants de mon groupe et toutes les personnes qui travaillaient à la Nichée pour nous rendre la vie un peu plus heureuse.

(Découvrez, dans chaque lien ci-dessous, des images humoristiques « représentatives » de chaque métier. N’hésitez pas à m’en transmettre d’autres si vous en trouvez des plus appropriées, car parfois je n’ai pas trouvé mieux…)

Déjà, il y a les éducateurs et les éducatrices (Edith, Eugène, Elisabeth, Marie-Hélène, Marie-Jeanne, Isabelle, Audrey, Sylvia, Cécile, Laure, Véronique, etc.) nos guides du quotidien, qui veillent à ce que l’on ne manque de rien, qui s’assurent qu’on mange à notre faim, qu’on se lève pour aller à l’école, qu’on ait une bonne hygiène de vie. C’est aussi avec elles et eux qu’on part en sorties, au cinéma, à la piscine, à la patinoire, avec qui on fait des activités sportives, du shopping avec notre budget vêture ou notre argent de poche, etc.

Il y a également les éducateurs ou éducatrices scolaires (Guy et Nadine) qui nous aident à faire nos devoirs, nous donnent des explications si on rencontre des difficultés, nous font réciter nos leçons et parfois beaucoup plus que ça…

Les cuisiniers et cuisinières (mamie Elisabeth, Véronique, Jean-Michel et William) qui nous préparent de bons repas bien équilibrés. Est-ce que c’est toujours bon ce que l’on mange à la Nichée ?

Il y a aussi les lingères (Sabine et Isabelle) qui prennent soin de nos vêtements et nous les rendent propres, repassés et pliés dans les paniers à linge (jusqu’à un certain âge).

Le responsable de l’infirmerie (Philippe), qui nous emmène chez le médecin lorsque l’on est malade, chez l’orthodontiste pour avoir de belles dents bien alignées ou pour faire enlever les dents de sagesse, chez l’ophtalmologue et l’opticien si on a besoin de lunettes, qui fait tout ce qu’il faut pour notre santé.

La psychologue (Marie-Do), que l’on voient un mercredi sur deux pour nous sensibiliser sur différents sujets collectivement.

La secrétaire et la comptable (Véronique et Sylviane), qui gèrent de manière rigoureuse la partie administrative et financière. Sans ticket de caisse, pas de remboursement possible !

Les maîtresses de maison pour garder les lieux de vie propres en toutes circonstances.

Les veilleurs et veilleuses de nuit arrivés quelques temps après mon arrivée car avant les éducateurs dormaient sur place.

Sans oublier le directeur et le chef de service (Pierre et Rémi) toujours à veiller avec droiture que tout se passe bien en bon père de famille.

J’espère n’avoir oublié personne…

Dans cette maison, au nom particulier, tout est mis en place pour nous aider à nous construire et à grandir. L’expression « il faut tout un village pour élever un enfant » prend ici tout son sens.

Après ma majorité, je ne suis pas revenue souvent, très occupée par mes études, la danse et le travail. Je n’ai donc jamais vraiment eu l’occasion d’exprimer toute ma gratitude à toutes celles et tous ceux qui ont partagé mon quotidien, avec parfois des hauts et des bas, car les enfants c’est souvent ingrat, on ne se rend pas toujours compte de la chance que l’on a. Avec du recul, j’ai pris conscience qu’il faut vraiment avoir un grand cœur pour exercer ces métiers auprès des enfants dans un foyer, parfois parcourir de nombreux kilomètres, faire des heures supp., avoir des horaires décalées, subir la violence et tout cela en sacrifiant certainement sa propre famille. 

A vous qui m’avez accompagné dans mon évolution, chacun avec votre touche personnalisée, tel des petits colibris, je vous le dis aujourd’hui, très sincèrement, et du fond du cœur, Merci. Vous m’avez aidé à grandir et à me construire comme tout enfant le mériterait sur cette Terre. Sans vous, je ne sais pas si j’aurais eu un bel avenir.

Grâce à mon placement, j’ai pu développer une passion, la danse, j’ai pu partir en colonies de vacances (France, Espagne, Croatie), en séjours linguistiques (Irlande, Angleterre), j’ai passé mon BAFA, mon permis de conduire, mais c’est vrai que je m’en suis aussi donnée les moyens, je me suis battue pour m’en sortir, car pour moi il n’y avait pas d’autres issues en vue. Alors certes, tout cela ne remplace par l’amour d’un papa et d’une maman, on pourra souvent ressentir un vide intérieur qu’on remplit avec des choses parfois bonnes, parfois moins bonnes pour nous. Mais on n’a pas le choix, il faut avancer.

Les enfants, tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, je vous souhaite à vous aussi de trouver votre voie, vos talents, vos passions, ce qui vous animera et vous rendra heureux et vivant de l’intérieur.

Pour terminer, je vous propose de partager quelques bons et mauvais souvenirs du temps passé à la Nichée. Si vous êtes d’accord, on va commencer par les mauvais souvenirs et garder les meilleurs pour la fin et n’hésitez surtout pas à partager les vôtres en commentaires, on pourra peut-être écrire un livre, qui sait ?

Dans les mauvais souvenirs :

  • Les conflits et les violences entre enfants parce qu’on vient tous avec nos casseroles, nos blessures c’est pas tous les jours faciles de gérer nos comportements et nos émotions ;
  • Les méchancetés et moqueries qu’on pouvait avoir avec certains enfants, ce manque d’empathie qui rajoutait de la douleur aux blessures que l’on porte déjà ;
  • Le passage au peigne fin lors des épidémies de poux avec des produits anti poux, du vinaigre, on était devenu des pro en repérage de lentes et de poux, on remplissait les lavabos ;
  • Le repas du dimanche les dernières années, je me souviens de frites omelettes, j’en faisait une overdose
  • Quand mes copines préférées sont rentrées dans leur famille, car tous les enfants ne restent pas jusqu’à leur majorité dans le foyer

Il y a quelque chose que je n’arrive pas à classer ni dans les mauvais souvenirs ni dans les bons souvenirs, à votre avis de quoi s’agit-il ? […] Des bêtises! Vous aussi vous en faites des bêtises ? […] Les bêtises on est toujours content quand on les fait, on a parfois de l’adrénaline, vous savez ce petit truc au ventre, parce qu’on sait que c’est pas bien ou interdit? Je ne vais pas vous raconter toutes les bêtises que j’ai faites pour ne pas vous donner de mauvaises idées, car c’est pas bien! Mais ça se finissait souvent par une punition ou des remontrances, qui ça, ça reste peut-être un peu un mauvais souvenir, mais nécessaire pour que l’on ne dépasse pas certaines limites, qu’on apprenne à devenir des êtres « civilisés », des personnes qui ne font pas n’importe quoi dans la société.

Passons maintenant, aux bons souvenirs :

  • Les sorties sportives principalement avec Eugène mais pas que : à la piscine, à la patinoire, les balades à vélo dans les champs et la petite forêt à bosses, également quand on est allée au ski une fois et on avait fait de la luge avec des sacs poubelle, par contre les raquettes c’était pas trop pour moi ^^ , quand on jouait au foot dans la cour puis j’ai arrêté quand j’ai vu mes mollets gonfler;
  • Les séances de bronzage en été où on en profitait pour laver les camionnettes et faire des batailles de jet d’eau ;
  • Les sorties shopping, cinéma, restaurant, etc. avec Edith, Nadine, etc. à Colmar et à Strasbourg, quand on allait manger des glaces à Breisach ;
  • Les moments de danse entre copines où on copiait les pas de danse des clips et on inventait des chorégraphies, le stage de danse africaine avec Audrey dans les Vosges puis on a fait un spectacle de danse africaine pour la fête de Noël du foyer, toutes les fois où j’ai pu partager ma passion de la danse lors des spectacles de Noël du foyer
  • La préparation de gâteaux, sandwich américain avec Edith ainsi que les fêtes d’anniversaire où on pouvait choisir son repas, son gâteau pour le fêter avec le groupe ;
  • Les Window Color également avec Edith, pour décorer les vitres du groupe, on adorait dessiner des Diddl ;
  • Le mois de décembre très festif. Il y avait la traditionnelle fête de la St Nicolas avec les histoires contées par Annette Frieh, le petit cadeau, le chocolat chaud et les manalas. Et aussi, la fête de Noël avec les spectacles, le Champomy, les mauricettes et les cadeaux bien évidemment ;
  • La sortie annuelle du printemps, avec le Rotary Club, surtout quand ça tombait sur Europa Park ;
  • Le premier téléphone en couleur que j’ai acheté à 14 ans. A l’époque, il n’y avait pas encore d’appareil photo sur les téléphones, par contre la batterie tenait beaucoup plus longtemps, facilement 3 jours. Les technologies évoluaient tellement souvent (téléphone à clapet, coulissant, avec appareil photo puis vidéos, clavier tactile, mode selfie, etc.) que j’ai l’impression que j’en changeais presque tous les ans ;
  • Le rassemblement de toutes les filles de l’étage dans la chambre de Solène un soir d’orage;
  • M’occuper des petits lorsque je restais au foyer le weekend ;
  • La gestion de notre argent de poche de manière autonome sur une feuille, qui m’a certainement inspiré dans le choix de mon métier puisque j’exerce le métier de contrôleuse de gestion.

Comme vous pouvez le constater il y a beaucoup plus de bons souvenirs qui me sont restées en tête. J’espère que vous aussi les enfants vous allez garder de bons souvenirs de votre temps passé à La Nichée qu’il soit court ou plus long.

Ce n’est pas facile de résumer 8 ans de vie en foyer en 5 minutes donc si vous voulez en savoir plus n’hésitez pas à me poser des questions, je pourrai y répondre sans soucis en commentaire ou pourquoi pas dans un futur article.

Je vous remercie pour votre écoute et vous souhaite une belle continuation à toutes et tous ainsi qu’au nouveau directeur M. Schultz et toutes les nouvelles personnes qui ont intégré La Nichée entre temps !

Si vous souhaitez soutenir l’association La Nichée, dans laquelle plus de 600 enfants ont déjà été pris en charge, depuis sa création en 1964, je vous propose trois manières simples de contribuer :

N.B. : Si des personnes souhaitent garder l’anonymat et préfèrent que je n’indique pas leur prénom, aucun souci, simplement me le dire en commentaire ou en message privé 🙂

–> Aussi, j’ai perdu toutes les photos que j’avais faites lors de l’événement en faisant tomber mon téléphone dans les toilettes donc si vous en avez, je serais ravie que vous puissiez me les envoyer.

Voici la seule photo de groupe qu’on m’a envoyé pour le moment :

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